Au début de la nouvelle année, nous avons effectué notre premier voyage de 2024, le dixième depuis que la guerre a éclaté en Ukraine. Le temps passe vite et nous pouvons malheureusement dire que la situation ne s’améliore pas, et qu’elle s’est même aggravée à certains égards. Ces derniers mois, le conflit en Palestine a déplacé l’intérêt des médias vers cet endroit, avec ses conséquences. Il y a également une lassitude compréhensible chez les gens à soutenir pendant si longtemps une crise dont la fin n’est pas encore en vue. Les relations entre l’Ukraine et la Pologne ont également connu des moments difficiles récemment lorsque, par exemple, certaines catégories ont protesté pour des raisons collatérales à la guerre, comme les transporteurs polonais qui ont bloqué les frontières pendant des semaines pour protester contre le manque à gagner dont bénéficiaient leurs collègues ukrainiens qui profitent de l’allègement du conflit en cours.
Malheureusement, le conflit se poursuit sans relâche. Sur les 1 000 km du front, les estimations officieuses font état d’environ 200 à 300 morts par jour parmi les soldats ukrainiens. Du côté russe, ce chiffre devrait être au moins doublé. Il faut également rappeler que nous sommes en plein hiver avec tous les inconvénients que cela comporte.
Le voyage jusqu’à Kharkiv nous prend deux jours. […] La nuit se passe assez calmement. Seules quelques sirènes et le vol de quelques drones (de plus en plus utilisés dans le conflit), mais sans conséquences. Le matin, nous rencontrons un groupe d’enfants au centre Caritas où nous logeons, à côté de la cathédrale. Nous avons avec nous des cartables remplis de feutres et de cahiers préparés par les enfants de l’école primaire de Valmorea (région de Como en Italie). Les enfants ukrainiens ouvrent leurs cadeaux avec joie et surprise, et trouvent également des lettres écrites depuis l’Italie que nous traduisons. Les enfants ukrainiens se sont immédiatement mis à répondre à leurs camarades et nous avons également enregistré une vidéo pour leur envoyer nos salutations et nos remerciements.
Nous sommes emmenés dans la ville et ses environs pour voir les derniers endroits touchés deux jours avant notre arrivée. Des cibles qui n’ont rien de militaire…
La ville de Kharkiv, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière avec la Russie, se repeuple lentement. La population revient peu à peu. S’y ajoutent de nombreuses personnes amenées volontairement ou de force dans la ville depuis les villages proches du front, pour des raisons de sécurité ou tout simplement parce que les conditions minimales de survie pendant l’hiver n’y sont pas réunies. Dans l’après-midi, nous sommes rejoints par Sœur Camilla, une religieuse polonaise des Petites Missionnaires de la Charité […] Elle nous emmène à Hrakove, village d’abord occupé puis libéré. Les maisons sont presque toutes à moitié détruites, […] l’église orthodoxe n’a même pas été épargnée par les attaques. Partout, des panneaux avertissent de se tenir à distance en raison de la présence de mines dans le sol.
La route complètement gelée se termine devant la maison où travaillent Nina et son mari Alesandro. Nina est une jeune femme de Charkiv qui a épousé Alexander, originaire de ce village. Ils font partie des 200 personnes qui vivent encore ici aujourd’hui. Avant la guerre, ils étaient 800. Nina a travaillé dans une usine de couture et a bien appris son métier. Grâce à notre aide, elle a reçu des machines à coudre de Pologne ainsi que des tissus et du matériel pour travailler. Son idée est d’essayer de lancer sa propre production afin de pouvoir construire un avenir, non seulement pour elle, mais aussi pour quelques femmes du village à qui elle enseigne le métier de couturière. Pour l’instant, la production n’en est qu’à ses débuts et se fait uniquement sur commande. L’évêque local, Pavlo Honcharuk, a passé des commandes, tout comme Sœur Camilla qui, disposant de quelques offrandes, a préparé des vêtements pour les distribuer dans d’autres villages à ceux qui n’ont pas les moyens de les acheter.
À Kharkiv, dimanche matin, nous nous dirigeons vers la communauté de Sœur Camilla. Nous y laissons un générateur électrique, du matériel scolaire donné par Eskenosen (une association familiale de Como e Italie) et des vêtements d’hiver. Dans la maison des sœurs vivent des jeunes mères avec leurs enfants. Nous distribuons les cadeaux préparés par les enfants du catéchisme de Civiglio et Brunate (Como). Ils les remercient en nous donnant pour eux des biscuits traditionnels à la cannelle qu’ils ont préparés et que nous ramènerons en Italie. Nous célébrons ensemble la messe du dimanche et, après un repas rapide, nous retournons à Kiev.
Tôt le matin, nous reprenons la route vers Varsovie. En chemin, nous nous retrouvons soudain dans un cortège funèbre. Une longue file de voitures accompagne le corps d’un soldat, enveloppé dans des drapeaux. En chemin, nous remarquons que tous les véhicules circulant en sens inverse s’arrêtent en signe de respect. Les conducteurs descendent de leur voiture, enlèvent leur chapeau et s’agenouillent souvent dans la neige et la boue pour rendre hommage à ceux qui ont donné leur vie pour assurer la liberté du pays. Dans le village, même les enfants des écoles et des jardins d’enfants sortent pour saluer le corps.
Le soir, au milieu d’un blizzard comme nous n’en avons pas vu depuis longtemps, nous rentrons à Varsovie.